Un groupe
de travail propose des solutions pour développer leur mobilité et favoriser
l'accès aux transports
Colette
Sarraille, 85 ans, chemine doucement, en s'appuyant sur sa canne, rue
Vergnaud
dans le 13ème arrondissement de Paris. Elle aimerait bien se reposer
de temps en temps, mais il n'y a pas de bancs : « La mairie les enlève à
cause des clochards!», proteste-t-elle. Cette ancienne infirmière a pris sa
retraite à 60 ans. Elle vit chez elle, comme 90 % des seniors de plus de 60 ans,
et aspire à y rester le plus longtemps possible.
Pourtant,
l'univers de Colette s'est « rétréci », il y a trois ans, lorsqu'elle s'est
cassé le col du fémur. «Avant, je sortais beaucoup, au cinéma, dans les
expositions. Mais depuis l’accident, je ne fais plus rien du tout » soupire-t-elle. Prendre le
métro? Pas question : «II n'y a pas d'escalator ou s'il y en
a, c'est pour monter, alors qu'il est plus difficile de descendre». Le bus ?
«Je n'ose plus : on risque de tomber quand le bus démarre car le chauffeur
n'attend pas que l'on soit assis. Et si l’on n'est pas assez rapide, on peut
se faire coincer dans la porte automatique.» Quant aux taxis, «ils ne m'aident
pas à m'asseoir ou à me relever !»
Colette
ne marche plus très longtemps, car elle a de petits problèmes cardiaques. Du
coup, la retraitée ne se promène plus que dans son quartier, pour faire ses
courses, puisqu’elle a «la chance d'y disposer de magasins », et acheter son
journal à la boutique du Monde, ce qui lui donne l'occasion de «bavarder avec
des gens très gentils».
Nombre
d'enquêtes du Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et
les constructions publiques (Certu), qui dépend du gouvernement, montrent que
la présence de commerces et de moyens de transport à proximité du lieu de
résidence est essentielle pour les personnes âgées. Le premier motif de
déplacement des seniors concerne ainsi les achats, selon une étude de 2001.
Deux
chercheurs de l'université de Lyon-III, Pierre-Marie Chapon et Florent Renard,
ont même constaté, en 2008, que les trois lieux les plus fréquemment visités
sont la boulangerie, le marché et la pharmacie. Ils ont équipé de GPS une
quinzaine de dames de 80 ans et plus, vivant seules dans plusieurs quartiers du
8ème arrondissement de Lyon, et analysé leurs déplacements sur une
semaine.
Celles
qui devaient prendre les transports en commun pour accéder à ces trois types
de commerce sortaient moins souvent de leur domicile. Les chercheurs observent
que le territoire de vie des personnes âgées n'excède pas 500 mètres. «Il
faudrait que les documents d'urbanisme prennent en compte ces données, et
qu'ils installent par exemple les résidences pour personnes âgées à moins de
500 mètres des pôles commerciaux», estime Pierre-Marie Chapon, qui participe
à un groupe de travail sur la mobilité et l'urbanisme constitué dans le cadre
de la mission «Vivre chez soi» créée par la secrétaire d'État aux aînés,
Nora Berra, mi-février.
M.
Chapon juge aberrant que, pour l'instant, «un quart des établissements pour
personnes âgées ne soient pas desservis par les transports en commun selon les
chiffres du ministère de la santé. Comment les seniors peuvent-ils sortir ou
recevoir des visites ?», interroge-t-il.
Le
docteur Jean-Pierre Aquino, président de la Société française de gériatrie
et de gérontologie (SFGG), qui dirige le groupe de travail, assure que le
rapport qu'il prépare « plaidera pour une meilleure intégration des besoins
de mobilité des aînés. Pouvoir sortir de chez soi, se déplacer librement
dans la ville, est un facteur essentiel du vivre chez soi», affirme-t-il.
D'autres
dispositions sont à prendre, pour favoriser la mobilité des seniors, estime
Claude Dumas, directeur du Centre de ressources et d'innovation mobilité
handicap (Ceremh), et lui aussi membre du groupe de travail. II faut
«améliorer la voirie», puisque la marche à pied est le mode de déplacement
privilégié des seniors, notamment après l'arrêt de la conduite : les rues
doivent être assez larges pour accueillir des déambulateurs ou des fauteuils
roulants, et comporter des points de repos.
Le
territoire de vie des personnes âgées n'excède pas 500 mètres
Il
faudrait sans doute aussi «augmenter le nombre de zones limitées à 30km/h »
qui permettraient de limiter les accidents dont les seniors sont victimes : en
2006, 51 % des piétons tués étaient âgés de 65 ans et plus. Parce qu'ils
sont plus fragiles, les accidents qui les touchent sont souvent mortels.
Nombre
de seniors continuent d'utiliser leur voiture le plus longtemps possible,
surtout s'ils vivent à la campagne. Ne sont-ils pas des dangers publics ? Pas du
tout, répond l'Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), après avoir constaté qu'ils sont à l'origine d'un moins grand nombre
d'accidents que les autres groupes d'âge, dans un rapport de novembre 2001.
L'OCDE réclame aussi le développement de modes de transports de substitution.
«Dans les pays nordiques, les personnes âgées utilisent des scooters à trois
ou quatre roues qui roulent à 10 km/h. Pourquoi pas en France ?», s'interroge
M. Dumas. Services publics accessibles aux passagers en fauteuil roulant,
transports semi-collectifs ou à la demande, et services d'accompagnement, sont
autant de solutions à développer. ■
Rafaële Rivais
L'OCDE
recommande des véhicules adaptés
Les plus de
60 ans représentaient en 2009 22 % de la population française, soit 14,4
millions de personnes. L'Insee estime qu'ils seront 22,3 millions en 2050 du
fait notamment de l'allongement de l'espérance de vie (84,5 ans pour les femmes, 77,8 ans pour les hommes).
Les
personnes âgées de 65 ans et plus bougent moins que le reste de la population,
selon une étude du Centre d'étude sur les réseaux, les transports,
l'urbanisme et les constructions publiques de mai 2001 : 71 % de ceux qui
vivent en milieu urbain se déplacent quotidiennement, contre 80 % à 90 % pour
la moyenne nationale. Les hommes effectuent 3.1 déplacements par jour et les
femmes 2.2.
Les motifs de
déplacement sont les achats (45 %), les visites (13 %), les loisirs
(10 %), la
promenade (10 %). Les modes de déplacement sont la marche (46,3 %), la voiture
comme conducteur (30,5 %) ou passager (12,2 %) et les transports en commun (7,9 %), dont le bus
(6,2 %). Les seniors sont nombreux à conduire leur véhicule : 40 % de 65 à 69 ans.
30 % de 70 à 74 ans, 25 % de 75 à 79 ans, et 16 % de 80 à
99 ans. L'abandon de celui-ci est souvent vécu comme un deuil. Confrontés à
des pertes d'aptitude, ils évitent de conduire dans des situations difficiles
(nuit, heures de pointe ou jours de pluie), observe l’OCDE.
Un
contrôle ciblé
L'organisation
juge qu'instituer un contrôle médical obligatoire à partir d'un certain âge
ne serait «ni efficace en termes de coûts ni avantageux», car l'aptitude à
la conduite ne dépend pas de «l'état de santé» mais «des conséquences
fonctionnelles de la maladie». L'OCDE lui préfère un contrôle ciblé sur les
personnes affectées de handicaps fonctionnels. Elle réclame des tests de
conduite spécifiques qui permettent de déterminer la probabilité
d'implication dans un accident.
Soucieuse
de voir la mobilité des baby-boomers se prolonger à l'horizon 2030, l’OCDE
recommande en outre la conception de véhicules plus facilement accessibles
(munis éventuellement de sièges pivotants) et équipés de dispositifs
d'assistance à la conduite. ■
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